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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 22:44

 

TUNIS, 26 fév 2011 (TAP) -

Considéré comme l'une des voix marquantes de la littérature maghrébine, Tahar Bekri n'a pas eu de moments de répit depuis le début des événements du 14 janvier 2011 en Tunisie.

Au gré de ses voyages dans différents pays, il ne cesse de répondre aux interviews, débats et rencontres pour expliquer au mieux la réalité d'hier et d'aujourd'hui en Tunisie. "J'essaie d'accomplir modestement mon devoir de poète citoyen, ou que je sois" déclare-t-il à l'agence TAP.

ImageAprès "Salam Gaza" (Editions Elyzad, Tunis 2010), Tahar Bekri, qui a écrit "Le livre du souvenir" en 2007, s'est mis depuis plusieurs mois à la rédaction d'un recueil de poésie "Je te nomme Tunisie". "Laissez-moi vous dire que la Tunisie m’habite comme elle habite tout ce que j’écris, tout ce que je publie depuis mon premier livre, paru en 1983", confie-t-il.

Aujourd'hui encore, et après ce qui vient de se passer en Tunisie, ce poète et écrivain installé depuis 1976 à Paris, continue à travers son oeuvre marquée par l'exil et l'errance, à lancer son cri, fruit de ses multiples voyages, contre l'absurdité humaine.

Avec sa plume, il condamne la haine et dénonce l'injustice, dans un style savamment composé. "Je n’improvise pas mes lignes, j’y mets tout mon être, avec patience et exigence" précise-t-il.

Avec de tels mots qui imprègnent la quasi-totalité de ses oeuvres (une vingtaine entre poésies, essais et livres d'art), Tahar Bekri interpelle la conscience universelle: "Comment ne pas être sensible à cette magnifique leçon d’Histoire que donne notre pays?" s'exclame-t-il à propos de la révolution du 14 janvier.

"L’émotion est trop forte pour rester à l’écart de ce qui s’écrit chaque jour par les vrais artisans de cette épopée" ajoute-t-il. Mais "depuis plusieurs mois, bien avant le début des événements, j’étais en train d’écrire un livre de poésie «Je te nomme Tunisie » que je voulais intituler auparavant «Chants pour la Tunisie».

Cependant à partir "du 17 décembre, et avec l’acte de désespoir et de défi du jeune Bouazizi, la douleur a submergé l’écriture. L’issue était, heureusement, la victoire du peuple sur la tyrannie". "Les collines debout en dépit des tyrannies, tous ces conquérants réduits en ruines, l'eucalyptus témoin des défis, la blessure relève du lutteur décidé, non de la faiblesse des collines", sont des extraits de ce recueil "Je te nomme Tunisie".

Certes, une nouvelle page de l’Histoire tunisienne est en train de s’écrire, mais l’œuvre littéraire, estime l'écrivain tunisien, n’est pas un "reportage ou une célébration mécanique et facile, elle est création dans la durée, labeur et travail d’écriture".

Comme dans "Le Livre du Souvenir" (Elyzad 2007), il restitue avec les mots ses impressions sur la révolution où affleurent émotion et espoir.

"Si la révolution inspire, ce sont ses valeurs profondes, éthiques et morales, qui valorisent la condition humaine et qu'elle défend, que je garde à l'esprit comme un chant de toute beauté. Ce sont les dictatures qui sèment la mort.

Les poètes, eux, sont du côté d'Aboulkacem Chabbi, ils clament haut et fort «Les chants de la vie». Personnellement, dit-il "J'essaie d'accomplir modestement mon devoir de poète citoyen, où que je sois".

Evoquant la contribution des intellectuels tunisiens établis à l'étranger, porte-voix de la réalité tunisienne aujourd'hui, il répond que "L'héritage de l'ancien régime est lourd à porter et s'en défaire est un apprentissage laborieux".

Loin de se définir comme stratège ou encore idéologue, il demeure convaincu que "l'impatience est légitime mais l'intransigeance n'est pas bonne conseillère. L'histoire des révolutions, rappelle-il, "est là pour nous avertir de l'imparable. L'opportunisme de certains est inévitable. Les intellectuels honnêtes doivent rester les sentinelles de la vérité.

Leur sagesse est nécessaire pour accompagner la démocratie, aider le débat tolérant et pacifique. Dans ce sens, rappelle-t-il, il ne faudrait "jamais perdre de vue qu'Ibn Khaldoun, dont la statue trône à l'Avenue Bourguiba, est celui qui a écrit au 14ème siècle «La justice est le fondement de la société». La révolution ne peut se passer de culture qui est, avant tout, acte de civilisation".

Evoquant sa participation à une rencontre "la parole retrouvée en Tunisie'' lors de la 17ème édition du Maghreb des livres à Paris, Tahar Bekri a fait remarquer que des témoignages édifiants ont été apportés -au public nombreux dans la salle" sur la parole confisquée, aujourd'hui libérée. Grâce à cette révolution, "La parole s'est libérée de la langue de bois et du mensonge".

 

D'ailleurs, explique-t-il, ce sont les pratiques de l'ancien régime, à titre d'exemple, dans le milieu universitaire, empêchant certaines voix d'intervenir dans les colloques ou d'aborder certaines questions de l'histoire de la Tunisie, qui ont fait que la culture devait ruser avec la censure pour pouvoir s'exprimer. Les médias échappaient rarement au fait d'être la voix de leur Maître. Aujourd'hui "Grâce à la parole virtuelle et réelle sur le terrain, la peur a été vaincue. La chape de plomb à laquelle, hélas, beaucoup ont contribué, a sauté".

Un ami, se rappelle-t-il, qui a vécu dans un pays de l'Est, me disait récemment: « Sous la dictature on ne parle pas. Briser le silence est le chemin vers la liberté. Cette dernière est le fondement de la démocratie".

Cela dit, fait il observer, il faudrait réfléchir sur le statut de la parole politique dans la future Constitution tunisienne et quelles seront les règles qui vont définir le discours des partis politiques, toutes tendances confondues, dans la nouvelle démocratie.

Car, passée cette étape dont il faut se féliciter et se réjouir, il va falloir fixer certaines règles démocratiques et responsables, afin de faire face à "la parole intolérante, violente, fanatique et haineuse", conclut Tahar Bekri.

 

 

 

Né en 1951 à Gabes, Tahar Bekri est actuellement maître de conférences à l'Université de Paris X-Nanterre. Sa poésie est traduite dans différentes langues (russe, anglais, italien, espagnol, turc, etc).

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