L’homme unidimensionnel
Herbert Marcuse coll. Points 1968
L’essai a influencé ceux de mai 68 qu’on a appelés « les enfants de Marx et du coca cola ». Il s’en prend à l’Amérique capitaliste dite « néo-colonialiste » * autant qu’au régime communiste des pays de l’est (Prague et les chars évoqués dans le roman de Milan Kundera L’insoutenable légèreté de l’être). Après la domination de la méduse métaphysique, il aspire à nous libérer du joug de l’Etat, des médias et des crabes de la consommation.
* sens détourné de ce qu’il désigne habituellement.
Préface : « J’ai analysé dans ce livre quelques tendances du capitalisme américain qui conduisent à une « société close » - close parce qu’elle… intègre toutes les dimensions de
l’existence, privée et publique. »
1. La société unidimensionnelle
2.
La pensée unidimensionnelle
3. Perspectives d’un changement
historique
1. La société unidimensionnelle
L’homme se trouve sur une toile d’araignée et connaît la privation de
toutes ses libertés dans la société actuelle dite « de progrès » :
« La société industrielle qui
s’approprie la technologie et la science s’est organisée pour dominer toujours plus efficacement l’homme et la nature, pour utiliser ses ressources toujours plus efficacement.
»
Les superlatifs insistants de Marcuse sont plus recevables qu’une dramatisation de la condition sociale à laquelle l’homme est asservi. Où il est constamment mobilisé, tenu en éveil, non sans des tensions personnelles.
La société poursuit sa frénésie de productivité dans l’ère de la consommation comme auparavant dans l’état de guerre.
Dans « l’enfermement de l’univers politique », il faut déplorer que le programme de l’opposition (et des syndicats) ressemble à celui du parti au pouvoir ; tous sont mus par des intérêts
communs. La pensée radicale du philosophe Marcuse s’exprime ici, en renvoyant dos à dos les idéologies et actions politiques :
« … La société capitaliste a une cohésion interne que les stades de la civilisation n’ont pas connue. »
(Chapitre 4) L’univers clos du discours.
La puissance des médias et leur sacralisation laminent la réflexion individuelle, avec la complicité dépourvue de scrupules « des agents de publicité /qui/
façonnent l’univers de communication dans lequel s’exprime le comportement unidimensionnel. »
Marcuse décrit le processus d’appauvrissement et d’oxydation de la langue, réduite à des constructions dignes de la gestuelle - mimique et cris - des primates : « C’est le mot qui ordonne, qui organise ; il incite les gens à faire, à acheter, à accepter » . L’époque paraît mettre à exécution la « novlangue » imaginée avec prémonition par Orwell dans son roman 1984.
« Dans cet univers du discours public, la parole est un déplacement de synonymes et de tautologies ; elle ne recherche
jamais en fait la différence qualitative. »
… En quelque sorte, la parole est tenue en laisse, massivement réprimée dans un univers de conditionnement et d’inflation de la langue de bois, avec ses sigles, abréviations permutables, ses plaques sémantiques d’eczéma, ses épithètes homériques – « Werner von Braun le créateur-de-missiles- aux larges épaules » (immigré allemand comme Marcuse) -, ses diktats dénoncés par Roland Barthes (Le degré zéro de l’écriture, éditions du Seuil) : l’écrivain consciemment ou hypocritement se trouve en devoir de résistance.
On peut s’étonner des citations récurrentes de l’essayiste français, et se demander dans quelle
langue Marcuse a pu découvrir Le degré zéro de l’écriture, avant de le convoquer ainsi en témoin du démantèlement linguistique généralisé sur la planète.
En examinant les plaintes que les travailleurs formulaient au sujet de leur salaire et de leurs conditions de travail, les
chercheurs insistèrent sur le fait que la plupart du temps l’énoncé de ses plaintes se faisaient en termes vagues, indéfinis… Les chercheur, en se réglant sur le principe de la pensée
opérationnelle, interprétèrent et reformulèrent ces propositions/… / La proposition « les toilettes sont insalubres « était reformulée ainsi : « à telle et telle occasion je suis allé aux
toilettes et j’ai trouvé la cuvette sale ». Des enquêtes montraient alors que cette situation était due « principalement à la négligence de quelques employés. »
(Page 146).
Humour swiftien de cet exemple et démonstration de la logique
administrative sur lesquels Marcuse ne manque pas de s’étendre.
2. La pensée négative : la logique de la contradiction est mise en échec
La seconde partie, la plus ardue, s’organise autour de cette phrase,
vertigineuse et révélatrice de la hauteur d’esprit de Marcuse, qui choisit des formules d’imprécateur et d’iconoclaste, à la manière de Hannah Arendt dans La crise de la culture
(1961) :
« La rationalité technologique de l’univers totalitaire est la forme la plus récente
qu’a pu prendre l’idée de Raison. »
La rationalité grecque distinguait le vrai du faux, concourait
à la connaissance du réel dans un univers à deux dimensions, aspirait à une universalité de la raison dialectique, « Le fait que l’homme est progressivement enchaîné à un appareil productif, révèle les limites de cette rationalité et sa farce sinistre… ‘
3. Perspectives d’un changement historique
Il existe seulement deux projets historiques qui se trouvent en conflit « et
l’issue des événements semble dépendre de deux séries de facteurs antagoniques :
1. la plus grande force de destruction ;
2. la plus grande productivité sans destruction. En d’autres mots la plus grande vérité historique appartiendrait au système qui
offre le plus de chances pour une pacification. »
Dans un monde où règne ce que Marcuse qualifie de « folie économique », chacun subit, tolère l’irrationnel de la Raison résumé par trois anecdotes à propos du déphasement vécu quotidiennement : - l’appétit de changement de l’automobiliste passant d’une voiture à une autre et obsédé par les marques pour son bien-être – le plaisir de la campagne devient une recherche de la « réserve naturelle » contre les enseignes publicitaires et le citoyen cautionne ainsi un gouvernement déterminé à financer l’extension des parcs naturels.
« La pensée critique doit s’efforcer de
définir le caractère irrationnel de la rationalité établie… la technologie est devenue l’instrument d’une politique destructive. «
Peut-être le fondateur d’Apple a –t-il été inspiré par Marcuse (et Thomas Pynchon, l’auteur de Vente à la criée du lot 49) en proposant des produits alliant fonctionnalité, design et écologie. La technologie au service de l’industrie poursuit « quelque chose de cette corrélation mythologique entre le réel et le possible (qui) a survécu dans la pensée scientifique… » Marcuse, Steve Jobs et Pynchon visent accessoirement une réalité et une existence devenue libre, « avec des besoins vitaux satisfaits » :
« On peut calculer quels doivent être les besoins que l’on doit dispenser aux malades, aux infirmes et aux gens âgés –
c’est-à-dire qu’on peut calculer comment réduire l’angoisse, comment libérer de la peur. Des obstacles politiques s’opposent à une telle matérialisation… »
Les
dernières pages de L’homme unidimensionnel, les plus passionnantes de l’ouvrage, relèvent autant du document sur une nouvelle idéologie anticapitaliste se constituant dans
les années 1970 que de la pure utopie, le contraire de la dystopie illustrée par Georges Orwell et son roman célèbre 1984 - au détriment de Hommage à la Catalogne, témoignage
direct sur la guerre d’Espagne raconté aux côtés des républicains et anarchistes à Barcelone - .
« La « pacification de l’existence » ne peut pas provenir d’une accumulation du
pouvoir, mais du contraire. La paix et le pouvoir, Eros et le pouvoir, ce sont peut-être des termes contraires… La pacification suppose, qu’on a vaincu la résistance de la nature… il y a deux
façons de vaincre la résistance de la nature : l’une est répressive, l’autre est libératrice… »
La nature peut être transcendée par le contrôle des naissances, le discrédit du racisme encore présent dans certaines régions reculées du monde… La Raison dans une autre acception que celle du XVIIIe siècle peut transférer la notion de progrès, réparer les insuffisances et la cécité des encyclopédistes, renouer avec la conception grecque assimilant art et technique. Marcuse condamne le dicton préféré de Samuel Beckett (« N’attendez pas d’être chassés pour vous cacher… ») se réfère à Marx et à Hegel à propos de l’homme disposant de cette chimère brandie en toute circonstance du « temps libre ». Son idée force est que la « culture » révèle ses origines et qu’elle est le privilège d’une aristocratie – précisons une aristocratie « bourgeoise » - et, bien entendu, réactionnaire, sclérosée, pantouflarde.
« Prenons un exemple (malheureusement fantastique) : si simplement il n’y avait
plus subitement de publicité et d’endoctrinement dans l’information et dans les loisirs, l’individu serait plongé premièrement dans un vide traumatisant, puis il y trouverait la possibilité de se
poser des questions et de penser. Bien entendu, une telle situation serait insupportable et cauchemardesque. »
« Si la télévision et les moyens de communication similaires cessaient de fonctionner, alors pourrait commencer à se réaliser ce que les contradiction inhérentes du capitalisme ne sont pas encore
parvenues à accomplir : la désintégration du système »
Herbert Marcuse montre son goût littéraire – et se lâche complètement -
dans la conclusion, où sont tour à tour mentionnés Samuel Beckett, Lewis Carol, Maurice Blanchot, Walter Benjamin, les écrivains et les artistes de la liberté d’expression, parfois
sournoisement menacés par une psychanalyse hégémonique qui fait actuellement le miel de Michel Onfray.
Le « dictionnaire des sciences humaines » (PUF éditions 2006) réhabilite Herbert Marcuse (1898- 1979) associé à tort, alors qu’il est philosophe, aux hippies, pacifistes américains de Woodstock et protestataires contre la guerre du Vietnam (genre Bob Dylan !). :
« Marcuse rassemble en une synthèse inédite les impulsions du mouvement ouvrier et les contestations de la modernité plutôt axées sur le nivellement de la culture, la perte du sens et l’aliénation marchande. Le centre de gravité de l’ouvrage - écrit Stéphane Haber - consiste dans une dénonciation vive de la société de consommation contemporaine et se termine par un appel à la révolte qui concerne d’abord les minorités exclues, réprimées ou exploitées par la société d’abondance après la guerre, organisée selon les principes d’une rationalité étouffante. »
Marcuse entretient un propos dérangeant à propos d’Auschwitz moins inscrit dans la mémoire que dans la « gadgétisation » de la société qui amène à suspecter la science et la
technologie contemporaine :
« La société a restreint, elle a même anéanti l’espace romantique de
l’imagination…Libérer l’imagination afin que lui soient dpnnés ses pleins moyens d’expression présuppose de réprimer une grande part de ce qui est présentement libre dans la société
répressive… »
Il reste à traduire, désormais, le discours de Marcuse en mots d’ordre.
Christian Samson
« Violemment surréaliste et ancré dans
la langue québécoise… Son style était bref mais choquant. Il toucha un large public et influença les poètes québécois ou francophones de la seconde moitié du 20ème siècle.
»
Journal
en ligne, à propos de Paul-Marie Lapointe
Espèces fragiles
Paul-Marie Lapointe, éditions l’Hexagone
Québec 2002
Le poète s’est éteint récemment, le 16 août 2011. Un ouvrage de la collection « Poète d’aujourd’hui » chez Seghers lui a été consacré.
La thématique de « l’île-paradis » sert de châsse aux poèmes dont le dernier se termine par une apostrophe à la tortue, à toutes les tortues du monde : « sans doute n’atteindras-tu / jamais / la fin des temps… le sais-tu?
»
Représentant des poètes de la « révolution tranquille » au Québec, Paul-Marie Lapointe a eu de hautes responsabilités à radio Canada, persévérant dès 21 ans dans un anticapitalisme raisonné,
complice de Gaston Miron dont il a la stature, et de Nicole Brossard (féministe dès « Installations » 1989). On connait l’attirance de Malcolm Lowry, de Lawrence et des Québécois pour le
Mexique, terre des séismes et des volcans :
« nuit cathodique/ … nuit sous contrôle / nuit armée /… nuit régnante sur terre / planète d’ignorance / et de sang versé / planète perdue »
L’humanisme contemporain de Paul-Marie Lapointe - on a rendu compte de Pour les ämes dans ce blog, au début de
l’année – correspond à un rejet de cette espèce de « totalitarisme » Etatsunien dont pâtissent les Latinos, les Blacks, les minorités sexuelles, un fonds protestant et apalachien rétrograde. De
toute évidence, comme Pierre Bellemare, Lapointe préférait le Mexique, l’Amérique du sud, admirait modérément le Che, Cuba et pas du tout Régis Debray, l’ex otage de Bolivie, le « médiologue » à
la mode.
Le petit bourgeois philosophe se rendait chaque lundi – vers 1965 - au lycée Poincaré de Nancy (son 1er poste de normalien ) après avoir traîné sur l’ancienne place Thiers, celle du cinéma
où les lycéens sortis par « l’aquarium » regardaient jalousement les filles aux jambes croisées à la terrasse du café – le restaurant était à l’étage -. Régis Debray, l’anti-poéte, enseignait
le Discours de la méthode qu’il obligeait à apprendre par cœur.
Paul-Marie Lapointe, le poète « planant », a écrit : « à 8
heures, ce matin,/ secousse sismique / un seul coup de massue / comme pour enfoncer la ville / dans la terre / ville fragile / immobile / comme on retient son souffle…
»
Toutes les pièces du recueil se caractérisent par leur concision, leur ton ferme, leur expérience de « l’être humain ». L’ensemble donne un condensé des positions d’un poète exemplaire, qui ne se
compromit pas avec les pseudo révolutionnaires boliviens, enfermés – pour la photo – dans la prison de Camiri (1967-1971).
L’inspiration du poète Québécois est limpide, héroïque, Il sublime l’épopée et le sous-développement.
« Des fourmis.
Quelques centaines de fourmis, minuscules, explorent le territoire de marbre de la terrasse ; un mètre carré environ. Que chacune parcourt en tout sens, avançant à vive allure, stoppant,
reculant, virant à gauche à droite…. »
Christian Samson
A propos de Louise Michel
L’anniversaire de la mort de Frantz Fanon (1961) est aussi l’occasion de découvrir aux éditions D’Ores et déjà un discours de Louise Michel, qui
rencontra Victor Hugo en 1821, avant d’être déportée en Nouvelle-Calédonie à quarante-trois ans. On note la sortie sur les écrans – dans les salles de l’Union des Grands Capitalistes UGC -
du film L’ordre et la morale de Mathieu Kassowitz, à propos des révoltés, preneurs d’otages de la grotte d’Ouvéa qui se débrouillèrent seuls (14 morts après quatre assassinats de gendarmes)
sans la participation de Jean-Marie Djibaou au cours de cette crise / un « assaut programmé avec la connivence de son médiateur » / – le leaqder du FLK est seulement nommé dans le générique
de fin -.
Prise de possession
Louise Michel, éditions d’Ores et Déjà.
Louise Michel avait un talent d’orateur et de poète, propre à convaincre - et à soulever littéralement de terre -, tous les gueux : misérables, prolétaires, paysans, ceux
que Michelet appelait le peuple déshérité du monde. Ceux qu’elle mobilise et rejoint en tant que porte parole par un " nous" unanimiste :
« Nous savons notre but : c’est la délivrance de tous, nous le voulons et nous l’oserons… » .
Ce n’est pas un hasard si les qualificatifs christiques fleurissent pour parler de « la Vierge rouge » Louise Michel qui est, au siècle de la révolution industrielle – si
peu romantique -, une des seules femmes à porter avec George Sand le costume masculin.
Elle représente les convictions politiques modernes, les idéaux des utopistes socialistes de la Commune de 1870, Avec son chant, les exclus, les dépossédés se révoltent -
doivent encore aujourd’hui se révolter – dépaver les rues, dresser des barricades – pourquoi pas dans la rue St Jean ou au Point Central ? -.
« Le pouvoir est mort, s’étant, comme les scorpions, tué lui-même ; le capital est une fiction, puisque sans le travail il ne peut exister. »
Louise Michel se moquait des lois bourgeoises qu’elle eut à subir, elle fut plusieurs fois arrêtée avant sa relégation en Kanaky où elle resta seule à soutenir une insurrection
indigène – son chef Ataï -, puis à nouveau surveillée par la police de l’empire et de la république pendant les trente dernières années de sa vie :
« Peut-on encore parler du suffrage universel sans rire ? Tous sont obligés
de reconnaître que c’est une mauvaise arme ; que, du reste, le pouvoir en tient le manche… »
La conférence – très écrite – qu’elle donne en mars 1882 à Paris constitue un document inédit qui révèle Louise Michel, institutrice des enfants de déportés en Mélanésie.
Anarchiste dans la moelle, et bourrée de talent, elle annonce les temps prochains, la « catastrophe » / terme dramaturgique / de la condition humaine – pas une ruée vers Laure - où
les biens cesseront d’appartenir à ceux qui en profitent à l’abri d’un gouvernement, et où les patrons aussi se libéreront – d’eux-mêmes -.. Ces crasses ! Elle entend
réconcilier l’humanité dans un monde précaire, en premier lieu, les hommes avec leur liberté et leurs droits.
Le procès social doit se régler avant notre disparition dans le cosmos ; il faut faire un mauvais sort à l’argent, il faut, comme le dirait aujourd’hui le curé Meslier
pendre « les nobles – les nouveaux aristocrates – avec les tripes du clergé, des évêques et du pape ».
Louise Michel vaut la peine d’être découverte, car elle "détruit" la notion du travail aliénant. Elle se méfie des hommes politiques de droite comme de gauche, ne croyant
pas que l’arrivée de socialistes ( !) au pouvoir – à la présidentielle – résoudra miraculeusement les problèmes économiques du pays, de la nation gauloise, de l’Europe, des Etats
corrompus en Afrique, au Pakistan, en Cisjordanie…. Elle donne comme exemple des leaders représentatifs qui ont répondu à la misère des peuples, Abraham Lincoln, Vercingétorix, ou d’autres
moins célèbres – Sophie Grant condamnée à la prison, , le pirate Doï-van condamné à mort au Tonkin - , mais seulement parce qu’il faut donner des exemples historiques pour cautionner
son discours…… En comparaison, le manifeste Syris 10/18 contre le travail et l’Europe économique paraît un pastiche des appels au meurtre prolétariens.
«Le communisme commence à se dessiner, personne ne possède en propre le soleil qui l’éclaire, l’océan qu’il parcourt… »
Embrassant l’univers dans un panorama de l’Histoire et des civilisations qui ont incubé toutes les révolutions, Louise Michel cite fréquemment le poète américain Whitman, se
montre géniale dans son sens de la formule (« Notre république a des rois par milliers… Ce qui pourrait s’appeler « respublica » ce serait la chose de tous, l’humanité libre sur le
monde libre »)
Féministe cultivée, elle en aurait appris, elle en aurait à enseigner aujourd’hui encore, à tous les incultes de la Toile qui rédigent leur blog abondamment illustré,
paresseusement illustré.
Elle aurait encore à couvrir des salons d’excréments, les miroirs à dorures, elle pourrait ripoliner d’excréments la façade des ministères nationaux sans susciter la moindre
indignation de la part de l’intelligentsia parisienne, qui se complaît dans son autosuffisance, qui se gargarise de mots, qui sniffe des rails de coke sur un guéridon. Tant elle est veule. Les
vedettes BHL et autres sont outrecuidants et bien capables de plier les œuvres complètes de Louise Michel pour en faire des cocottes en papier. Sans oublier les "spécialistes" du CNRS, de
Sade et autres Unités d’enseignement – ou de valeurs - qui se gargarisent avec bonne conscience, et se regardent devant la glace… sans rire.
Louise Michel accumulait les savoirs au service de l’action : thésaurus vivant, curieuse des plantes endémiques en Mélanésie, des mœurs - et des enfants surtout
- qu’elle éduquait le dimanche. En matière d’instruction, personne ne pouvait lui donner de conseils. Elle se « gérait », autodidacte, indépendante. .
Il faut trois rédacteurs Robert Kurz, Ernst Lohoff et Norbert Trenkle pour poursuivre, quatrième de couverture « l’économie d’une critique radicale de l’idéologie du
travail …- que de compléments de noms ! - Autrement dit, il ne s’agit pas de libérer le travail, mais de se libérer du travail. »
La conférence de Louise Michel prononcée en 1883 est un modèle de rhétorique révolutionnaire, un bâton de dynamite – et non un bâton d’encens qui se consume pour remplacer
un désodorisant, repérable par un détecteur de fumée – ou un ersatz – qu’on trouverait dans une supérette. Les images métrées qu’elle ajuste parlent – dans notre « chambre intérieure » -, elles
sont de portée universelle. C’est un matelas miné, un parquet dissimulant des mines anti personnelles. Les lycéens devraient découvrir à leur tour ce texte, reconnaître les décasyllabes, la
mitaine de la versificatrice, le col roulé de Victor Hugo.
Malheureusement peu d’enseignants connaissent Louise Michel, ils préfèrent lire le groupe Krisis ! Leurs sous-vêtements sont des Damard.
« Ses vêtements ôtés laissent à découvert les blessures qu’il a reçues dans la lutte contre les occupants de son pays, il lui
faut subir le frottement sur son cou de la main du bourreau et les trois coups de gong qui prolongent son agonie »…
écrit Louise Michel à propos de Doï-Van, leader révolutionnaire au Tonkin. La veine de Louis Michel complètement inspirée est épique, elle n’a
rien de ce qu’on aurait pu craindre, tous les défauts de la fée Carabosse, le sentimentalisme, le scoutisme, le manuel de survie du libertaire dans la société de consommation.
Louise Michel, c’est quand même autre chose que, moins stylés, moins polis, le manifeste Krisis et ce genre de phrase :
«Ne courbons plus l’échine sous le joug des marchés de l’emploi et de la gestion démocratique de la crise ! La condition en est que de nouvelles formes d’organisations
sociales (associations libres, conseils) contrôlent les conditions de la reproduction à l’échelle de toute la société. »
A ceux qui sont tentés par l’adultère avec les socialistes et qui lisent les romans de Douglas Kennedy, je ne résiste pas à l’envie de recopier les dernières
phrases de Louise Michel. La préface de Prise de possession ne précise pas quelles furent les réactions de l’auditoire de Louise Michel en 1883.
Signa-t-elle des autographes ? Parmi son public, y avait-il quelqu’un pour l’enregistrer sur un Nagra de l’époque ? La Nouvelle-Calédonie en 2014 devra choisir son destin…
« Personne au monde ne peut rien pour dénouer la situations présente.
Les urnes ont assez vomi de misères et de hontes.
Au vent les urnes, place à la Sociale !
Le monde à l’humanité !
Le progrès sans fin et sans bornes !
L’égalité, l’harmonie universelle pour les hommes comme pour tout ce qui existe ! »
Esprit libre, Louise Michel avait donc fait ainsi l’apprentissage de la liberté.
Christian Samson
Edité chez Gallimard, ce premier roman (?) de Lilyane beauquel mérite quelques mots dans notre rubrique "notes de lecture'".
Avant de rédiger l'article que cet ouvrage mérite , voici l'excellente critique trouvée sur sur le mensuel "L'estrade" - gratuit mais étonnant par la qualité et la variété des articles- et signée d'Aline Hombourger, illustré par la photo de Daniel Denise.
( que nous remercions -photo recadrée)
cliquez sur les images pour les agrandir
je me permetrtrai une simple remarque d'enseignant d'histoire à propos du chapeau de l'article.
Où on lit : "quatre jeunes soldats allemands partis défendre leur pays en 1915."
L'article, très littéraire, a été écrtit par une personne instruite : on peut mesurer par là la force d'une propagande qui a conduit les Français à la réconciliation - tout à fait honorable- avec le peuple allemand.
Car les jeunes allemands, depuis 1870 n'ont jamais été "utilsés" par leurs dirigeants pour "défendre leur pays" , mais bien pour envahir le nôtre en 1870, puis en 1914, enfin en 1940.
Que la confusoion règne à ce point dans les esprits éclairés montre bien l'efficacité de la communication politique.
Il a fallu d'ailleurs forger le terme NAZI - qui désigne les "mauvais allemands des années 30 et 40- pour blanchir le peuple allemand des crimes de la seconde guerre mondiale : la réconciliation s'est faite grâce à ce tour de passe-passe sémantique..
Triomphe du discours et du vocabulaire !
Shemin maniok shemin galé
Carpanin Marimoutou, éditions K’A 2009
Recueil en créole et en français, Shemin maniok shemin galé brasse tous les registres, de l’anecdote transcrite au hasard d’une homophonie relevée – compter et conter, « survivre en
comptant » -, au poème court, au poème en prose. Carpanin Marimoutou figure en tête de liste de la poésie réunionnaise contemporaine. –Les chemins empruntés signifient qu’un pays remue et
vit, même tombé dans l’oubli de ceux qui naviguèrent sur les mers, échoués sur son rivage. L’île se maintient en dépit de et grâce à « l’apport océan ». :
l’esclavage et les tueries du commerce maritime. Les traces laissées par les hommes sont conservées port leur permettre de se rencontrer– ce sont des chemins de mémoire pour nourrir le présent en
repoussant les pleurs et les regrets de ce qui est advenu contre quoi aucune protestation n’est possible. De même que dans son parcours personnel, aucun individu ne peut rebrousser chemin,
revenir aux blessures de son enfance. Les ancêtres demeurent présents, le patrimoine vivant, en ce qu’ils enseignent à maîtriser la peine par le chant et le danse « comme devaient sans doute le faire les ancêtres des tribus malgaches, africaine,s indiennes, et de tous les mondes du monde
de ton monde ».
La dénégation de l’isolement insulaire se transforme en potentiel d’énergie et en soubresauts de fierté à l’évocation du site familial, avec son modelé volcanique – montagne – piton - cirque –son
ancienneté géo-morphologique datant de l’époque où la terre s’engendrait dans une maïeutique qui reste à découvrir. Certes les commérages locaux – la transmission orale des faire-part
nécrologiques - finissent par agacer et donner la claustrophobie, mais raconter quelque chose avec art, s’épancher dans des histoires n’est-ce pas une façon de survivre dont la portée est
universelle ? : les voisins négocient leurs succédanés des contes des Mille et une nuits, et sont des « Schéhérazades » à leur façon, animés par des motifs moins nobles de voisinage, plus
mesquins, par plaisir d’échanger des histoires sans se préoccuper d’appauvrir en fait ce qu’a de légitime le besoin de narrer et de faire entendre leurs voix.
-« Faire des histoires » devrait rester cependant l’apanage de l’écrivain et du poète, comme aurait déclaré « un grand poète (toujours de l’autre côté de la mer, mais le vrai autre côté cette fois… » ? On voit comment, par quel mimétisme, l’écrivain contrefait avec habileté les rouages de l’esprit provincial de son département – pays - avec lequel il vit en osmose,
une véritable passoire de « latifadés - en s’en accommodant et en le rendant productif de sens et d’humeurs – de plus amples rumeurs - vagabondes. En effet, le pays finit, excepté
« les ponts – ils sont nombreux ici –», par ne plus se ressembler à cause des structures en béton et des grands projets immobiliers plaçant la Réunion au premier
rang des destinations de voyage très prisées des continentaux : « nous descendons de l’écume
jusqu’aux galets de l’embouchure qui nous écorchent les genoux ». L’ile monte au cours des
enchères d’une partie de cartes jouée par les traders de la finance mondiale qui liquident la planète au bluff, au détriment du bien vivre et des nostalgies pacifiées – sous sédatif
3 D - de l’enfance. L’île devrait plutôt subsister en tant que mode de rencontre avec ses traditions endémiques et ses séquelles de l’Océan Indien au
lieu de tenir lieu de camping abrutissant - tout terrain – et de veillées devant des écrans d’ordinateur où la dépouiller, par la magie d’une touche qu’on enfonce, de sa joie factice
proposée sous fourme de dépliants touristiques (« surf, voile, parapente, rallyes… et
l’exquise politesse des grands domaines »). Elle appartient surtout à ces écumeurs de bar
pérorant, en tenue négligée, accoudés au comptoir, éclaireurs d’aventures fabuleuses, grandiloquents aussi longtemps qu’ils sont soûls. Auprès d’eux, Carpanin Marimoutou renaît aux
veillées arrosées de son enfance - à l‘apprentissage des « pas sautillants des guerriers et
des dieux sur le sol battu ». Les excursions d’autrefois le conduisaient en bonne compagnie, dès
l’aube, au bord de la rivière à traverser avant de revenir et descendre d’étroits escaliers : pèlerinage accompli sur la falaise qui était « une espèce de repos »
avant qu’elle ne disparaisse sous les éboulis « Les pierrées et l’eau ont rebondi sur le soleil
qui s’en est noirci./ Depuis j’efface les taches avec les chiffons que me prête la vie « .
L’auteur n’en dit pas plus,. La sentimentalité est retenue comme elle l’est tout au long du recueil, en particulier dans un des deux poèmes publiés dans Carnavalesques 4 Océan Indien, « Vous disiez qu’il ne fallait pas nommer ce pays ».
La poésie marocaine contemporaine
Une anthologie de poésie dispense les mêmes plaisirs
qu’une assiettée de petits fours. Elle s’adresse aux gourmands, flatte la préférence de leurs papilles ou leur curiosité pour une friandise extraordinaire immédiatement attirante au premier
regard. Libre à chacun de choisir ce qui lui est présenté – sur un plateau - selon ses préférences, ou la tartelette aux fruits rouges, la tuile truffée d’amandes, ou la meringue aux
courbes craquantes ou (« péché de gourmandise ! ») l’une des variétés de ganache noire et de chocolat blanc garnis sur leur chef d’un oeuf superbe assorti d’une
collerette.
De même, il faut toujours satisfaire l’appétit du lecteur de poésie par la proximité d’auteurs jeunes ou méconnus et de poètes
confirmés servant de faire valoir. De toute manière, un jour ou l’autre, les jeunes succéderont aux anciens, assureront la relève et ne desserviront pas une audience relativement faible –
une ignorance massive !- de la poésie contemporaine. La Maison de la poésie Rhône-Alpes avait proposé en 2006 une anthologie de la poésie marocaine dans le n° 38 de
Bacchanales sous la direction d’El Amraoui. La collection de poche poésie/ Gallimard vient apporter, pour décembre 2010, son poids de surprises
sous le titre Les poètes de la méditerranée,
anthologie à l’initiative d’Eglal Errera. Dans la première,
54 poètes sont présents, dans la seconde 5 seulement retenus et 2 sont convoqués à parité égale dans les deux anthologies (c’est maigre comme assiettée de petits fours).
Lisons donc Mohammed Bennis et Hassan
Nejmi qui bénéficient d’une unanimité éditoriale plus grande
de la part des anthologistes.
Mohammed Bennis, directeur de
revue, éditeur et essayiste.
Œuvre :
Anti-journal,
Le Don du vide, Fleuve entre deux funérailles (2003), Le
livre de l’amour (2008)
Une œuvre ancienne de Mohammed Bennis Le don du
vide profitait d’une préface et d’une traduction de Bernard Noël.
Il s’agit d’une œuvre majeure de la poésie marocaine (éd. L’Escampette 1999).
Depuis, l’auteur maintenant sexagénaire - ou presque
– a poursuivi son bonhomme de chemin. Son inspiration adoptant souvent le procédé – le levier - de l’interpellation au lecteur reste attachée à l’instant de béatitude, à l’événement engendrant la
parole : le fleuve fixé, presque représenté graphiquement sur la page, avec sa rive et son embouchure – comme une épaisseur grossissante du verre, une loupe, un pain de miel.. L’eau, au bord du
courant, plus riche en associations, qu’il s’agit d’entendre est salive féconde et draine des histoires édifiantes pour peu qu’on lui prête une certaine attention. Chaque poème de Mohammed
Bennis se donne pour réécriture de la genèse, se nourrit de définitions paradoxales (« Cela ne fait rien / la source est l’avenir de l’eau / et l’embouchure son passé ») ou de dissimulations amoureuses. Le poète s’exprime dans une économie de mots riches sémantiquement. Le recours aux détails
anatomiques pour nommer la double face d’un feuillage à jeter dans la rivière, recours très imagé et original, voisine avec le tronc sinistre d’un arbre où un jeune élève amoureux de sa
professeure s’est pendu. Les sensations tactiles trahissent autant le travail manuel, l’effort physique que la caresse et la jalousie – labeur – jalousie - sensualité : «
La main a abandonné la lune hors de la chambre. Moi, je sens l’odeur du
henné… ». De poème minimaliste, le texte mue en prose, en
pointillés picturaux à la manière de Seurat – et prend les dimensions d’une surface mosaïquée - en zellige – d’une toile de grand format destinée au dripping, saisissant des gestes et des
tropismes, dans une scène d’intérieur feutrée dont ne saurait dire si elle est tout à fait intime, ou occupée par des gens, pleine de vide et de plein, de plénitude et de violence
contenue.
L’olfaction filtre, avec un luxe de raffinement, dans le parcours de la caresse et la découverte du corps : le tatouage qui procure
l’ivresse des sens est souvent magnifiée par une gamme de parfums originaires de Fès – le domicile - et de la tradition. Le poète, on le voit, célèbre les attributs du corps à défaut de le
représenter.
L’œuvre de Mohammed Bennis est parfaitement maîtrisée dans une limpidité de langue qui ne doit désormais plus rien à l’aisance de
ses traducteur, avec sa part de mystère et ses moments foudroyants, aussi mérite-t-elle d’être découverte, lue et parcourue en toute confiance.
Romancier et journaliste, Hassan Najmi appartient aux aînés en tant que membre fondateur de la Maison de la poésie au Maroc, et ancien président de l'Union des écrivains
de son pays. Il compte à son actif, plusieurs recueils de poésie et des essais sur la poésie et la culture orale arabes. Oeuvre : Les vents ocres
(1993), Petite vie (1995), Les baigneuses
(2009).
Un poème « Moi et mon ombre » apporte son éclairage sur le discours désespéré de l’auteur à propos de la condition humaine « un homme éteint par la nuit », souvent silencieux, rongé par la solitude des lieux – la chambre, le bar, le trottoir de la rue où couchent les plus démunis, les
pauvres - tenté par le suicide au gaz. Le mot « ombre » est un synonyme d’homme pour exprimer un des paramètres tragiques de la vie. L’individu doute autant de sa consistance que de sa place
d’habitant du monde. L’ombre est immatérielle – elle se repose d’elle-même et de la lumière – elle reste projection extérieure du poète à son tour en proie aux mots et à leur ricanement, elle est
ce qui reste de plus fidèle après le « masque de
chair ». Hassan Najmi préfère écrire court, par assertions
percutantes, par anecdotes teintées d’amertume et de cynisme (ainsi, dans « la montre du martyr » il est dit que la montre s’est arrêtée, et non que l’homme a été assassiné et laissé dans la rue
pour le seul mobile du vol de sa montre). La lecture de ses poèmes n’entraîne pas la même adhésion que celle de Mohammed Bennis.
Meringue aux courbes craquantes ou ganache noire et de chocolat
blanc ? Bien entendu, les grands poètes marocains célèbres en
France, au demeurant excellents pâtissiers, sont Tahar ben Jelloun et
Abdellatif Laâbi. Est-il utile
encore d’en rendre compte? Bien
que possédant, en commun, l’avantage de composer directement en français, le
premier est lié à Tanger, le second à Fès, leur trajectoire est
radicalement divergente depuis la fin des années 60, sous le régime
impériale – impéraliste - d’Hassan II.
Le premier a entrepris après le prix Goncourt pour La nuit sacrée – et
continuer de mener encore - une carrière parisienne très suivie dans
les médias - France 5- Gallimard – le Nouvel Observateur -, le
second, plus discret, écrit – et applique les recettes - de romans publiés
chez Gallimard parallèlement à sa poésie - sa spécialité - rassemblée
dans ses Oeuvres complètes aux éditions de la
Différence.
La priorité dans une anthologie consiste, sinon à se caler le ventre de
pâtisserie fine, biscuits et macarons - autant passer alors tout de suite
au dessert ! - du moins de se mettre en appétit par petites bouchées
avec des pièces sur le plan gustatif délicates, feuilletées et salées, des
mignardises ou des amuse-gueules sortis de
l’emballage standard à
pleines poignées et sans manières, autant de miniatures susceptibles
de combler « un petit creux » au ventre quand on a faim avant
passer à table proprement dit.
Jalal El
Hakmaoui, originaire de Casablanca, enseignant et revuiste
D’Electron libre, traducteur de
l’arabe. Œuvre : Allez un peu au
cinéma (2005), Entre deux nuages (2006)
« Modernité
Courir derrière le lièvre de la modernité
C’est comme courir derrière un camion chargé de viande bovine
Qu’un chien aveugle conduit à la forêt »
Le besoin de courir derrière la modernité est légitime parmi les
auteurs de la nouvelle génération, lecteurs de Ginsberg et de
Raymond Carver, tendus vers une poésie narrative fonctionnant à
haut débit, désorientés par des buzzwords publicitaires - la mode
communicante, du « positionnement professionnel » - et en bon
cinéphiles pourvus d’une mémoire de plans tournés en « nuit
américaine » jamais prise en défaut - un cadrage d’Orson Welles –
un étalonnage reconnaissable des couleurs de Ridley Scott. Une
poésie satirique centrée sur des personnages types, des réactions
criardes du monde actuel dans une satire aigre-douce. A ce titre est
révélateur le texte
« Pour quelle raison le poète emmène-t-il sa femme au Mc Donald ? ». Désormais, citoyen embourgeoisé, propriétaire de sa voiture, caressant sa femme bien en chair – et qui rumine des arrière-pensées
-, le poète savoure un hamburger dans l’ambiance avachie d’un « fastfood » à l’américaine. L’aisance matérielle –machine à laver – réfrigérateur – coca cola – ont dégradé le discours
laudatif et sentimental classique. Carnavalesques 2006 avait déjà publié deux
poèmes de Jalal El Hakmaoui, « le hamster de la vie » et « le nez d’Al Pacino ». où le poète se mettait à la place d’un metteur en scène imaginaire et d’un acteur de cinéma célèbre, par
dérision, pour dire en contempteur de l’Occident, l’imminence d’une apocalypse dans le bien-être et la standardisation : « Je suis venu sur cette terre obscure… Pour regarder la télévision des pauvres/ Pour sacrifier un mouton virtuel/ A l’honneur de
l’Homme nouveau : L’Homme nouveau regarde vers le Bas ». La
poésie cesse dès lors de se recroqueviller dans ses afféteries de langage et, aussi déconcertant soit son « habillage » quotidien - jean – et téléphone mobile -, elle retourne d’instinct à sa vocation première, d’ébranler les certitudes prosaïques, de faire vibrer la conscience et la sensibilité du lecteur. La
poésie conserve sa fonction critique, qui ne se borne pas à une image spéculaire et nombriliste de l’acte d’écrire. La mise en abyme se trouve ainsi remisée parmi les accessoires prosodiques
dépourvus de pertinence et entassés dams la remise – l’atelier – de l’auteur. Un pan de la poétique traditionnel s’écroule et va s’accumuler au milieu des gravats de l’inspiration
Hicham Fahmi, né à Marrakech en
1971, auteur publié sur internet. A son initiative est ouvert le premier portail de poésie marocaine, il s’est expatrié au Canada. Œuvre : Chirurgie de l’écran (1997), Ma rivale au visage moucheté se fait la
barbe (2005),
Voici des considération copiées sur
internet parmi les comptes-rendus accessibles et acheminés à « flux tendu » : « Le web ne remplace pas les modes de circulation jusque-là en vigueur, mais vient les compléter, tantôt en s’y superposant et, dans certaines circonstances, en les doublant
(en les dupliquant et/ou en les dépassant, en les prenant de vitesse), tantôt en en relayant certaines séquences ou segments. »
La nostalgie espiègle et crue dans l ‘adresse à la mère génitrice trouvée dans le poème « Echographie » de Hichan Fahmi montre que le web ne déshumanise pas la sensibilité, ne déverse pas
nécessairement des sentiments frelatés, - du clinquant ! - des émois enfantins transis dams le prisme d’une inclusion en résine –. Le web est un mode d’expression comme un autre support, imprimé,
ou performé au cours d’une soirée de poésie orale, donc accessible au public – La valeur de la communication est proportionnelle à l’affect de l’utilisateur et à ses propres dispositions et à ses
modalités d’invention élocutoires. Disons-le. La rhétorique ancienne n’en devient pas caduque sous prétexte que nombre d’épanchements observés dans les mails – le courrier des lecteurs
informatisés –, en lecture rapide, prêtent à sourire, tantôt en raison de leurs carences expressives, de leur grave ignorance de la langue – le langage texto - la graphie fébrile et approximative
- les sous-entendus de ses codes érigés en cryptogrammes - tantôt de leur franche naïveté ou agressive facilité à tomber dans la polémique au niveau du contenu – « C.Koa ton pb » -
La preuve en est que « Echographie » de Hicham Fahni une fois publié par Bacchanales n°38 de la Maison de la poésie
Rhône-Alpes tranche, par son tutoiement abrupt, l’évocation d’un milieu familial deshérité où « nous nous agglutinions autour de toi quand tu t’apprêtais à sortir… nous roulions nos yeux espiègles/ et vicieux / pour
reluquer ton slip rouge ». La poésie et la gestuelle conative de
l’élocution en sortent indemmes comme l’enfant apostrophant sa génitrice. Dans « cubes de formol », « Départ pour la veille » et « Algorithmes de l’invisible », le poète adopte une
prose saccadée, haletante, laisse parler ses visions sans se censurer, à bride abattue au sortir de l’école– comme le Rimbaud d’Une saison en enfer
- une saison en enfer décryptée et faxée –
une variété d’écriture automatique surréaliste qu’il s’est réappropriée énergiquement avec audace, sans sombrer dans le plagiat français
: « L’arbre est le cauchemar de la terre.
Et les architectes des bourgeons macèrent le printemps dans les algorithmes de l’invisible/ Le cauchemar de la terre apparaît sur les écrans de l’air… »
Rendre compte d’une anthologie ne prétend pas témoigner de la vitalité d’une production littéraire, encore moins rendre justice à de nouveaux talents, à une nouvelle
génération d’auteurs qui échappent souvent aux critères de sélection - au « tri sélectif - du responsable de l’anthologie forcément partisan, et réducteur dans ses goûts en matière de poésie.
Peut-etre, de grands auteurs en herbe et de des « pousses « prometteuses en ont-ils été écartés. Du reste, en parlant, dams le cours de cette note, de petits fours, nous sommes-nous
référés à la gastronomie française et avons aussi passé sous silence, faute de compétences culinaire -, la pâtisserie orientale, en particulier marocaine - et le moment de la servir au cours d’un
repas de fête.
Alain Gnemmi
Ode au Saint-Laurent
Gatien Lapointe éditions Ecrits des Forges et Autres temps
Oeuvre encore moderne, sans signes de vieillesse, ce long poème de Gatien Lapointe, Ode au Saint
Laurent paru en première version en 1963, titre régulièrement donné en guise de référence
bibliographique pour situer la poésie Québécoise.
Comme cinquante années auparavant on peut qualifier sa lecture aujourd’hui de volonté de remonter à la source d’une veine poétique et d’une fougue juvénile, d’une expansivité épique comparables,
pour le Canada de langue française, à ce que représentaient, à ce que contiennent encore, de stimulant les versets de Walt Whitman dans Leaves of Grass – en
français Feuilles d’herbe - au milieu du XIX siècle pour les Etatsuniens. Gatien Lapointe compose – et signe - avec entrain et intuition l’hymne de son
pays aux vastes étendues dans une langue directe et un emportement communicatif devant les grandes distances, la réservoir vierge Québécois en énergies de toutes sortes - lacs, fleuves,
ressources du sous-sol - en espèces végétales – vallées à perte de vue – forêts giboyeuses -
et en fraternité.
Les attitudes énonciatives employées sont aussi variées que le paysage - panorama - mental qu’il brosse de manière très colorée à coups de pinceau généreux, alternant le mode verbal performatif –
courant en anglais et résumé dans la formule ; « quand dire c’est faire « -, l’ambiguïté d’un je qui est indifféremment celui du poète et cet ego du fleuve
Saint-Laurent. Signalons aussi le geste de montrer (« ce paysage est sans mesure
») au début d’un passage descriptif, et le souci du référent qui consiste à baptiser et introduire aux rites du
clan dans une liturgie personnelle, Mais Gatien Lapointe, entrainé à lancer des sondes par introspection, comme d’autres lancent l’hameçon dans la rivière, s’interroge souvent sur son tempérament
jovial, sur ce qui l’obscurcit passagèrement, autant qu’il recours à l’interrogation rhétorique et à l’exclamative. L’adhésion très forte ressentie à la respiration de son pays correspond au fait
de s’assumer dans son corps qu’il sent battre – hors des sentiers battus -. Son hyperactivité est un reflet de l’appétit d’un corps jeune et sensuel qui veut s’ouvrir, littéralement s’affirmer et
- tout en muscles et en nerfs - se dépenser. Découvrir son compatriote en prenant les devants, parler en son nom, en tant que porte-parole, interprète de ses fiertés caractéristiques – et
prophète, comme le poète de Baudelaire, prophète du bohémien et du mage - comportement rien moins qu’humble, équivaut à accepter son ascendance, sa terre de naissance, son identité
domiciliaire. Gatien Lapointe laisse en héritage culturel une œuvre d’amour et d’affection domaniale, un discours sédentaire reçu et transmis par quelqu’un de toujours très curieux, dynamique, en
éveil d’étonnement, une « éternel adolescent » ne se plaignant pas d’ankyloses. Sa poignée de main est franche. Corollairement, sa langue d’homme qui naît ignore les temps morts, la fange où on s’englue et où on se noie, modifie son rythme et frappe à la porte de la sensibilité
universelle : « Je vois dans une phrase l’espace de l’homme « L’œuvre est lisible de la part d’un lecteur francophone curieux des particularités locales de sa langue, des contextes
géographiques et des histoires engendrées dans le sang par ingérences étrangères – ou contentieux tribaux - aux cinq coins de l’horizon avant, pendant l’indépendance et depuis la «
mondialisation », langue de la poésie contemporaine, des transformations linguistiques et des bonheurs d’expression métissées qu’elle offre un peu partout.
On parle à juste raison d’espaces francophones et de langue partagée en copropriété.
Sans digresser, disons que les Québécois avec lesquels on converse aujourd’hui évoquent Gatien Lapointe avec un enchantement jamais feint, ils vous adressent un clin d’œil amusé un peu
comme les Etatsuniens acquiescent à l’Attrape-cœur de Salinger –quel personnage attendrissant, Caufield ! - et comme les Africains sourient au nom de Wangrin
Si mentionner Walt Whitman, c’est déjà insister sur la beat génération qu’il présage avec en surimpression le torse nu de Ginsberg, rendre compte de Gastien Lapointe c’est avouer le plaisir
généralement satisfait que procurent soit Gaston Miron, de l’homme
rapaillé, soit Roland Giguère, soit Paul-Marie Lapointe, l’homonyme encore bien vivant de Gatien.
Soit, bien entendu, Hélène Dorion : autant de maîtres contemporains de la poésie Québécoise.
L’Ode au fleuve est donnée pour « un chantier à ras de sillons », elle suit l’ordre d’un journal, une progression accidentée, la pose de rivets, l’asphaltage de lignes droites et le sprint avant la
ligne d’arrivée avec ses petits redressements de tête, avec ses haussements volontaires du menton, ses –fausses - prières… virils. Un peu comme dans tous les cahiers de « retour au
pays natal », depuis Césaire jusqu’à André Rober et Khal Torabully. Le geste créatif s’accompagne d’une remontée des enfers et se veut une recréation de l’univers, un début de
l’histoire de libération sauf que le poète Gatien Lapointe revendique son appartenance à un « ici » qu’il n’a jamais quitté, se contentant seulement de naître dans la démesure des distances
et des Eléments
« J’entraîne au jour tout ce qui est nocturne / J’ajuste l’arc-en ciel sur la cuisse des
mers.
Et le soleil se mit en marche dans mon coeur… Je dis l’homme arrivant sur
terre… »
« Tout ce que j’ai appris me vient d’ici ».