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16 février 2011 3 16 /02 /février /2011 19:15

 un article d'Alain Gnemmi

 

 

 

Entre nuit et soleil

Lionel Ray, éd. Gallimard 2010

 

 

 


 

Lionel Ray a essayé, en bifurquant plusieurs fois en cours de carrière, de donner un visage nouveau à l’objet poétique - démarche formaliste - ou de changer de miroir – œuvre sous pseudonyme - pour assurer la poésie de son atemporalité. Mais sa démarche de déconstruction du discours lyrique a beau rendre la lecture inconfortable, elle se reconnaît entre toutes ; un poème de Lionel Ray est un poème de Lionel Ray. Le texte donne l’impression d’inventer et d’expérimenter un territoire inconnu, de chercher son parcours, de tâtonner négativement, à partir de la matière brute des mots, et s’appuie sur un mètre traditionnel donné d’emblée, l’alexandrin admis ou récusé – le décasyllabe, avec en renfort le gros du bagage de la versification, des ressources de la césure et de l’enjambement, de la voix et de la circularité.

 

La présentation typographique d’un texte a son importance, variable indéfiniment dans les solutions proposées, elle est très démonstrative au regard et propice, dans l’esprit, aux interrogations sur le sens : poème d’une seule coulée, disposé en distique (dans « Autre et le même »), blancs entre les énoncés linéaires (« Visages, lieux d’ombre »), formatage des strophes dans un nombre de vers libre. (« Le temps figuré »). L’essentiel paraît être pour le poète de s’éloigner le plus possible d’un cadre établi, le sonnet, en quelque sorte carcan structurel, dans une « inscription d’un vertige qui n’a pas de nom »

 

Il s’agit de poèmes, de récit, en fait, d’échos en prose, de fragments conservés et réunis grâce à des ruses de mise en page. Les images recyclées dans la thématique viennent de la culture bien plus que d’une expérience vécue et d’événements individuels : hiver emblématique, dispersion des objets élémentaires à cause du temps, inconfort de vivre, mémoire qui s’appauvrit des personnes et des sentiments, priorité de la voix et des mots courants. Le laboratoire du biographe exécute moins une sélection dans son imaginaire très intellectualisé de la langue qu’un traitement dans l’improvisation du rythme et des mots auxquels il a toujours fait confiance. D’où l’impression d’une écriture aisée, d’un style original, qui ne tombe pas dans les excès des manifestes lettristes ou de la technique du copier/coller systématisée par les représentants de la beat génération. Lionel Ray aime les références savantes, cite Rimbaud, Ingeborg Bachmann, Joyce, Mozart et le peintre Roberto Matta.

 

Le poème a pour scène la table de travail, pour unité de temps, la nuit, sous la lampe devant la fenêtre. Le titre donne le thème à développer et engendre des images à travers un jeu tranquille d’assonances. Toujours animé par le principe du changement, par la relation entre la voix et le regard, les mots et les images, l’auteur poursuit la démarche entreprise dans Comme un château défait et Syllabes de sable rassemblés en collection de poche Gallimard.

Les poèmes qu’on préfère sont bien évidemment ceux sur la quête identitaire - un sujet se constitue et déconstruit - dans le travail d’écriture où sont partagées les préoccupations des linguistes nostalgiques de la grande épopée du langage aujourd’hui révolue. La poésie sort seule rescapée de la banalisation de la pensée artistique et résiste devant la création en roue libre devenue possible par les progrès de l’informatique et des logiciels de traitement de texte.

 

 

 

 

Cette heure seule dans le crépuscule d’été :

on n’entend déjà plus qu’un bruit de clefs.

 

Les mots changent, sable de plus d’éclat,

sans brume ni reflet sinon la voix.

 

Les mots changent de base et de fenêtre,

Inquiets du surcroît de silence qui les pénètre.

 

Poussière à jamais, est-ce un dieu qui dort

dans la mémoire étrange de l’aurore ?

 

Ou bien les années revenant de plus loin

ayant perdu la lumière en chemin ?

 

L’hiver est proche et sa douceur déborde

et la nuit tourne en moi étourdiment.

 

La beauté pend à cette corde

comme un corps trop usé, gémissant.

 

Alain Gnemmi

 

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